Antoine Payeur, éducateur en prévention spécialisée

Antoine Payeur, éducateur en prévention spécialisée pour Arc 75 depuis 2 ans (Paris).

« J’interviens sur une zone géographique assez grande avec deux autres collègues, auprès de jeunes qui sont en dehors des institutions principalement, donc à la rue. Ils ont entre 10-12 ans pour les plus jeunes et entre 18-25 ans pour les plus âgés. Pour les plus jeunes c’est de la prévention avant qu’ils ne décrochent scolairement, et pour ceux au-delà de 16 ans qui ont déjà décroché, c’est de l’aide à la recherche de travail, l’insertion professionnelle ou la reprise d’études.
Nous allons à leur rencontre : à la sortie des collèges ou lycées, pour ceux qui sont encore scolarisés et qui peuvent avoir besoin d’aide pour une recherche de stage ou une orientation, et pour les autres, dans la rue, en bas des cages d’escalier où ils ont l’habitude de trainer en journée. A force de les voir tous les jours, nous rentrons rapidement en lien avec eux et même parfois avec leurs parents. C’est toujours une approche par le groupe pour ensuite aller vers un suivi individuel (situation familiale compliquée, problèmes scolaires ou d’insertion professionnelle, de trafic ou de logement -des jeunes qui se retrouvent à la rue peuvent nous solliciter).

Les activités que nous mettons en place avec les jeunes sont des moyens d’aller vers eux et de creuser des situations individuelles. J’utilise le sport en général, et j’ai commencé à utiliser la vidéo en posant la caméra sur le terrain et en faisant le montage des meilleures actions, des penaltys par exemple en mettant l’objectif sur une cage de foot.
Je faisais un montage avec de la musique sur les plus belles actions, ça parle tout de suite aux jeunes et ça leur fait un souvenir.
Ensuite comme il y a deux jeunes qui font du théâtre et qui aiment se mettre en scène, nous avons fait un atelier vidéo à partir de petites scènettes de la vie quotidienne. Le but était de se mettre en scène le plus naturellement possible, sans être bloqués par la caméra, et d’essayer de faire quelque chose de comique ou décalé. Nous avons fait pas mal de séances.

Les jeunes aiment se mettre en scène puisqu’ils passent pas mal de temps sur Snapchat ou autre, et j’ai senti qu’il y avait dans la vidéo une porte d’entrée, un outil éducatif, pour créer du lien avec les jeunes. Par la suite on m’a proposé la formation Pocket Films, que j’ai intégrée cette année. J’ai trouvé la formation très pertinente et intéressante parce que la difficulté, quand on veut monter un projet avec des jeunes et une caméra, c’est de ne pas oser se lancer. On a toujours peur quand on n’a jamais fait de vidéo de ne pas faire quelque chose de bien, on veut toujours que ça rende tout de suite, et finalement on ne fait rien, on n’allume même pas la caméra ! La formation donne des pistes pour se lancer tout de suite sans être bloqué par la peur de faire quelque chose de pas terrible.

Se faire passer un téléphone et filmer est assez simple à faire, et c’est possible de le reproduire avec les jeunes. D’autant plus que la difficulté avec la prévention est d’organiser quelque chose dans la durée. Ce n’est pas un rendez-vous régulier, il y en a qui sont là, il y en a qui ne sont pas là. Nous pouvons les croiser pendant deux semaines et ne plus les voir les semaines d’après. Donc ce qui est important, si on a un projet vidéo, est d’arriver à faire des projets en « one shot », on voit les jeunes et on commence directement à filmer. C’est ce que j’ai retenu de la formation, en plus de se décomplexer et de passer à l’action.

Le fait de se lancer et le fait qu’ils soient partie prenante, impliqués dans la réalisation, est intéressant. L’idée, comme le montre la formation, est que chacun soit acteur du projet. Ce n’est pas l’éducateur qui arrive avec un scénario tout fait. A partir du moment où c’est construit ensemble, même si le rendu n’est pas terrible, les jeunes sont contents d’avoir participé. Et juste le fait de se lancer, de tourner une prise, donne envie aux jeunes de recommencer, d’améliorer, de mieux jouer etc... Après je ne sais pas s’ils le montreraient à tout le monde. Mais j’ai le souvenir de la vidéo que nous avons faite avec les petits, nous avons filmé deux fois en one shot (plan séquence) et gardé la dernière prise. Ils avaient fait une chorégraphie assez sympathique, et ils n’ont eu aucun complexe à la montrer, alors qu’ils se sont mis en scène, qu’ils chantaient devant la caméra. Ils étaient fiers de leur travail.

Cet atelier permet de se mettre en scène de manière différente, c’est différent de ce qu’ils font sur Snapchat ou les réseaux sociaux. D’habitude ce sont des vidéos plus individuelles qu’ils font pour se mettre soi-même en avant, alors que là, la dynamique de groupe est vraiment intéressante, avec l’envie de refaire les scènes ou de réécrire le scénario ensemble. Si le projet les intéresse, l’atelier permet de fédérer le groupe et de le tenir dans le temps.

En tout cas la formation Pocket Films m’a vraiment donné envie de m’y mettre, et j’aime la vidéo personnellement. Le travail de l’éducateur est aussi de mettre ses compétences personnelles au service du boulot et des jeunes. Et je sais que ça peut vraiment marcher auprès des jeunes, il y en a un qui fait des études en audiovisuel depuis qu’il a fait son premier atelier avec nous, ensuite il s’est mis au théâtre, donc oui ça peut vraiment donner envie. Parce que c’est facile et valorisant de montrer un petit film à ses potes. C’est aussi dans l’air du temps, parce que les jeunes utilisent ces moyens là et le multimédia quotidiennement. »